« La première métaphore absolue de la philosophie a dû apparaître quand Héraclite a décrit la pensée comme un feu, non seulement parce que pour lui le feu était l’élément divin, mais parce qu’il a la faculté d’absorber sans cesse de l’Autre pour le transformer en lui-même ». Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur
Dans Les Gardiens du feu, Younes Ben Slimane explore la complexité de la réalité tunisienne à travers le feu, dans sa constante mutabilité et son pouvoir de transformation. Cet élément crucial est examiné en profondeur dans sa dimension métaphorique, en tant que symbole de résistance, tout au long de l'histoire mythique et réelle du pays, mais aussi dans son actualité, et en tant que principal protagoniste de ce projet où il est non seulement un élément scénaristique mais le symptôme d’une situation politique et sociale éminemment bouleversante.
Cette investigation ontologique sera menée à travers une vidéo, une maquette du port punique réalisé en sel et des dessins utilisant la technique du transfert. Pour la vidéo, Younes a récupéré des images filmées par des manifestants lors des manifestations qui ont marqué les 10 ans de la révolution, images pixellisées et presque indéchiffrables. Des blocs de sel forment le petit port punique, matériau frêle et délicat dont la manipulation demande une finesse et une dextérité importantes. Il s'agit du même élément utilisé par les Romains après la conquête de Carthage, qu'ils ont brûlé et recouvert de sel pour rendre ses terres infertiles. Les dessins suivent les empreintes de la révolution sur les murs brûlés ; Younes a récupéré les cendres de ces murs pour effectuer les transferts et réaliser les dessins. Ces attributs étaient convoités par l'artiste, qui a transformé la fragilité des médiums artistiques qu'il a choisis en un commentaire sur la fragilité de la vie, de l’art et de la perception de la réalité.
En dépit de la présence du spectre de la destruction dans Les Gardiens du feu, il y a un aspect régénérateur et cathartique qui prime dans le projet, non seulement pour l'artiste, mais aussi pour toute une nation qui cherche à faire la paix avec ses démons passés et présents.
Institut Français de Tunisie, Imen Zarrouk, Petra Swais, Fatma Kilani, Christophe Gregorio
Né en 1992, Younès Ben Slimane est artiste visuel, réalisateur et architecte tunisien. En 2020, il intègre Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains. Son travail a été montré au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris (FR), à Selma Feriani Gallery à Sidi Bou Saïd (TN), au Mucem à Marseille (FR) et au Musée d’art contemporain de Skopje (MK). Ses films ont été sélectionnés dans des festivals nationaux comme les Journées cinématographiques de Carthage (TN), où il remporte le Tanit d’or, et dans des festivals internationaux parmi lesquels Locarno Film Festival (CH) et CPH:DOX( DK).
En 2021, il reçoit le Prix Studio Collector.