Loin de perpétuer l’illusion de faire sien le destin des vivants, d’en faire l’objet d’une autorité en le rendant explicitement observable, la domesticité associée au vivarium prend un autre sens dans l’usage récurent qu’en fait Édith Dekyndt.
Entre ses parois vitrées, ORGAN accueille des Tineola bisselliella, lépidoptères appartenant à la famille des Tineidae, plus communément appelés mites. Elles y ont engagé avec la laine animale, matériau complice à leur perpétuation, une étreinte dévorante qui durera, aux dires des scientifiques, des centaines d’années. Les chants nuptiaux émis par la colonie, des ondes vibratoires d'une amplitude infime, très lointaines de celles discernées par les humains, ont été captés par un dispositif d'enregistrement ultrasensible dans un sas acoustique particulièrement isolé.
Notre aversion à l’égard de l’espèce agit, dans cette monumentale pièce, de façon souveraine. La pièce déjoue les effets de dualité ou d’unité nourris par un imaginaire proprement humain et elle redéfinit les préceptes comme les gages de leur conservation. Le vivarium n’est en effet, ici, ni l’outil de la domination de la nature par l’homme, ni celui d’une mise en scène de l’harmonie retrouvée. Délesté de nos désirs de réification, il se fait l’organe d’une domesticité inappropriée, d’une alliance ambiguë ou de l’anomalie qu’ont si bien explorée, à travers le devenir-animal, les écrits de Gilles Deleuze et Félix Guattari ou ceux de Virginia Woolf.
L’improbable stratégie de viabilité que les larves aménagent à leur endroit et à leur rythme entretient un foyer qui défie la fonction de veille préventive que se sont inventée les utopies sociales de la modernité dans la transparence vitrée. Le dispositif ne fait qu’intensifier la puissante déficience d’un imago qui agit par manquement aux spéculations du prévisible et de l’audible qu’est censé permettre l’appareillage.
Dans une zone confuse d’indifférence et d’exception, l’action parasite maintient un état de veille continu dans l’enchâssement tensif entre le cadre et l’action, la mort et la vie, la disparition et l’émergence. À défaut de nous y projeter, nous nous y comprenons, à notre insu.
Florence Meyssonnier
DE SINGEL : Hendrik Storme, Paul Vermeire, Guy Anthoni, Karl Kana
Édith Dekyndt (née en 1960, à Ypres, en Belgique) vit et travaille à Bruxelles et Berlin. Expositions récentes : « Kunstenfestival Watou », château De Lovie, Belgique, (2021) ; « You and I Don’t Live on the Same Planet », Biennale de Taipei, Taïwan (2021) ; Riga International Biennial of Contemporary Art, Riga, Lettonie (2020) ; « They Shoot Horses », Kunsthalle de Hambourg, Allemagne (2019) ; « The Black, The White, The Blue », Kunsthaus Hamburg, Allemagne (2019) ; « Convex, Concave », Belgian Contemporary Art, TANK, Shanghai, Chine (2019) ; « Bienalsur », Bienal Internacional de Arte Contemporáneo de América del Sur, musée de l’Immigration, Buenos Aires, Argentine (2019) ; « Luogo e Segni », Punta della Dogana, Pinault Collection, Venise (2019) ; Triennale de Beaufort, littoral belge (2018) ; « Viva arte viva », 57e Biennale de Venise, (2017) ; « Ombre indigène », Wiels, Bruxelles (2016) ; et « Théorème des foudres », Le Consortium, Dijon (2015).